Elle est nichée en haut d’une montagne espagnole, en Galice… dans un tout petit village « Portomourisco« …
Elle est à l’abri des regards, en haut d’une pente à 45° aussi impressionante que dangereuse été comme hiver…
Sur son toit, ou plutôt sa terrasse on y voit un pont, l’un des plus hauts d’Europe et non loin de là, une station de ski… On y voit aussi tout le village, on devine l’église, le cimetière, la chapelle et on y voit même les maisons des cousins, car oui là-bas on est tous cousins…
Elle a bercé 3 générations, vu naître et grandir certains et mourir d’autres… Elle a accueilli en son sein des éclats de rire, des éclats de voix, des pleurs et une infinie tendresse…
Elle a bercé ma jeunesse, j’y ai vécu presqu’à la dérobée les heures les plus marquantes de toute ma vie…
J’y suis allé souvent mais jamais assez longtemps…
Dans cette maison animée davantage l »été que l’hiver, je me souviens du respect, de la pudeur et de cet amour infini qu’elle renfermait…
Je me souviens de cette complicité, de l’admiration sans limite que je vouais à ceux qui y vivaient…
Je me souviens de la porte ouverte, de la clé de la « bodega » qu’il fallait accrocher près de la porte vitrée comme si c’était hier…
Je me rappelle des peurs bleues que j’avais parfois d’aller chercher ne serait ce qu’une bouteille d’eau au fond de la bodega…
Je me souviens des odeurs de naphtaline et de cuisine mélangés… Ces mêmes odeurs rassurantes que je peine à retrouver aujourd’hui…
Je me souviens des ronflements de mon père et du couloir qu’il fallait traverser pour aller jusqu’aux chambres et qui me terrifiait lui aussi enfant…
Je me souviens des armoires et des tiroirs, des chapelets et des livres de prières… Je me souviens du parfum et d’un rouge à lèvres… rouge…
Je me souviens d’une casquette en feutre ou en tissu posée négligemment sur une tête où il n’y avait plus beaucoup de cheveux…
Je me souviens de ma mère bras dessus/dessous avec ma grand-mère pour aller à la messe…
Je me souviens d’un gilet sur une robe, d’un éventail ou encore d’un mouchoir… d’une « bata » enfilée sitôt rentrée à la maison…
Je me souviens du cuivre, des repas interminables dans cette cuisine et les siestes qui suivaient…
Je me souviens de ces chaises inclinables sur lesquelles je rêvais de monter, mais qui leurs étaient réservées.
Je me souviens de l’ennui parfois causé par les adultes qui nous tenaient là enfermés, alors qu’il faisait si beau dehors et que je n’avais qu’une envie c’était d’aller « al Rio« …
Je me souviens des vignes, d’un tuyau d’arrosage et des bottes kakis que j’essayais en cachette et qui étaient bien trop grandes pour moi…
Je me souviens de l’attitude qu’il fallait avoir pour ne pas décevoir…
Je me souviens des moqueries, des fautes en espagnol moins courantes que celles en français mais il ne fallait rien dire…
Je me souviens de cet hiver où je leur avais fait la surprise de venir, seule, ce qui m’était interdit jusqu’alors…
Je me souviens de cette exlusivité, de cette chance de passer quelques heures dans cette maison que je découvrais l’hiver…
Je me souviens de ces mains ridées mais toujours fermes, de ces gestes assurés malgré le poids des années…
Je me souviens de « la merienda » de « la barra de pan » et du chocolat milka… J’en ai encore le goût dans la bouche…
Je me souviens de « las pipas » (graines de tournesol) dont je recrachais « la peau » toujours plus loin au bas des escaliers…
Je me souviens de la porte ouverte mais souvent fermée à cause des mouches… et cette fameuse tapette à mouches ou encore cette main si agile qui attrapait les mouches Dieu seul sait comment…
Je revois ce puits en pierre aussi intrigant que pittoresque…
Je me revois mangeant des tomates à la taille hors normes, des fruits aussi beaux que bons et des légumes qui vous feraient changer d’avis si vous n’aimez pas ça…
J’ai l’odeur du « licor café » qui me chatouille le nez tout comme celui de « l’aguardiente« , lorsque la cuisine se transformait en distillerie clandestine…
Je revois cette table où chacun avait sa place, un couteau bien particulier pour une personne bien particulière…
Et puis « le chorizo« … car on y faisait le meilleur chorizo de l’univers…
Au numéro 16, si la porte n’était pas toujours ouverte, les fenêtres elles, l’étaient stores descendus…
Au numéro 16, j’arrivais en courant, en criant « Mémé ! », « Abuela ! », « Abuelo ! »…
Au numéro 16, j’avais le coeur serré par la hâte de les retrouver… tout comme lorsque je les quittais avec la crainte de ne plus les revoir…
…
Au numéro 16, aujourd’hui, la porte et les fenêtres sont fermées, la clé de la bodega est toujours à sa place, personne n’a oublié de la ranger.
Au numéro 16, il n’y a plus d’odeur de naphataline et dans la cuisine les cuivres ont disparu…
Au numéro 16, le silence règne, un silence pesant, un silence de mort…
Au numéro 16, la mort m’a pris mes modèles, elle m’a volé ceux qui m’ont donné ma maman… elle a volé mon âme d’enfant…
Au numéro 16, j’avais quelques repères, des rendez-vous inmanquables…
Depuis 5 ans environ, je me poste le coeur lourd devant la porte du numéro 16 au mois d’août, je ne bouge pas, je retiens mon souffle, j’ai cet espoir absolument con que la porte s’ouvrira à nouveau, au moins une dernière fois et que j’entendrais mon prénom…
Après quelques minutes interminables sans retenir mes larmes, je m’en vais au cimetière…
Au numéro 16, au « Lumbeiro« , vivaient ma Mémé et mon Pépé…