Odete tremble…
Elle n’avait pas eu le temps de vraiment réaliser entre l’appel de son patron, la quête de sa tenue, le trajet en bus attrapé in extremis… Mais à présent, elle est bien là… tremblante…
Son patron est fébrile il est anormalement soucieux… Il scrute Odete mais n’ose pas l’aborder… C’est pourtant lui le patron… C’est lui qui l’a appelée !
Ce silence pesant devient insupportable et Odete s’écrie :
– Monsieur, dites quelque chose !
– Odete va t’habiller !
Elle est saisie sur place, il a crié encore plus fort qu’elle ! Elle est tétanisée… mais s’exécute sur le champ…
Dans les toilettes confinés du restaurant, elle enfile une jolie robe longue ni trop habillée, ni trop simple… Elle effleure son visage maladroitement avec un pinceau qu’elle ne maitrise pas vraiment… Elle allonge la courbe de ses cils… et applique la touche finale… un rouge à lèvres rouge… comme la passion qui l’anime…
Elle entend la salle qui se remplit, elle entend le brouhaha des uns, le chahut des autres, les rires de ceux qui se retrouvent…
Elle croit reconnaitre certaines voix et en oublierait presque ce pourquoi elle est là…
Ce soir pas de tablier aux couleurs de Viana, pas de bières à servir, pas de Carne Alentejana, ni de Morue à Braz…
Non, ce soir elle devra nourrir les gens avec autre chose… Elle devra remplir leurs cœurs à défaut de leurs panses… Chatouiller leurs oreilles et non plus leurs égos…
Elle prend une grande inspiration, met un pied devant l’autre et se prend les pieds dans uns des pans de la robe… ça commence mal… et là elle réalise qu’elle n’a pas chauffé sa voix, qu’elle n’a pas répété et qu’elle ne sait pas ce qu’elle va chanter !
Putaindebordeldechiottes
Non mais Odete, Odete, Odete !!!
Elle a les larmes aux yeux, le cœur au bord des lèvres, elle veut s’enfuir, disparaitre, crier, mourir…
Une larme menace de s’échapper, elle renifle comme le ferait une enfant, bruyamment et désespérément… La porte des toilettes vient de s’ouvrir, devant le précipice de sa solitude… une cliente veut simplement aller aux toilettes…
Odete, sort d’un pas décidé et la pauvre cliente ne s’en remet pas… elle peste encore alors qu’Odete a déboulé dans la salle en trombe et d’un pas titubant plutôt que décidé… Elle se retrouve malgré elle propulsée près des musiciens qui grattent affectueusement les cordes de leurs guitares… Ils ont sur les lèvres ce sourire qu’ont les amoureux… ce sourire en coin à la fois tendre et plein de malice…
Ces accords ont un effet bénéfique sur elle et alors qu’elle commence à reprendre ses esprits Odete est ovationnée… Beaucoup l’ont reconnue, certains sont surpris mais tous s’accordent pour l’applaudir chaleureusement… Odete pleure, elle laisse les larmes couler car elle le sait… c’est malgré elle ce qui va lui permettre de prendre son élan…
Les musiciens, lui font chacun leur tour un clin d’œil… Il tapotent leurs guitares pour lui donner du courage, un silence vient de s’installer et l’on entend plus que ce tapotement qui bat la mesure… Pam pam pam, pam pam pam…
Odete joint ses mains comme une prière, elle lève les yeux et les referme…
Que la voix d’Amalia, soit avec moi…
…A suivre…